top of page

Quitter la finance pour les équations : trajectoire d’une reconversion

  • audreytudes
  • Sep 2
  • 4 min read

 


Quitter la finance pour les équations : trajectoire d’une reconversion

Qu’est‑ce qui pousse un gérant de portefeuille à poser sa calculatrice et à prendre une craie ? 


Pendant quinze ans j’ai passé mes journées à surveiller des courbes sur des écrans et à arbitrer des millions d’euros dans un marché souvent déconnecté du réel. Je suis diplômé en mathématiques et statistiques, et je les ai longtemps utilisées pour optimiser des rendements. Plus le temps passait, plus une question revenait en boucle : à quoi tout cela sert‑il ?


Je ne suis pas le seul à avoir ressenti ce vide. Une enquête reprise par Nouvelle Vie Pro rappelle que 29 % des Français déclarent manquer de sens au travail. Pourquoi continuer à courir après des performances financières alors que les jeunes manquent de repères et que les salles de classe manquent de professeurs ? Cette quête de sens a fini par me pousser vers un univers radicalement différent : l’enseignement.

 

Un métier qui a du sens… et des raisons de franchir le pas


L’éducation nationale cherche aujourd’hui des profils variés. Sur les 42 346 candidats au concours de recrutement en 2023, une grande part venait du secteur privé.


Cinq raisons majeures sont usuellement évoquées avant d’envisager une reconversion :

  1. Faire un métier qui a du sens : enseigner permet de contribuer directement à la société

  2. S’épanouir professionnellement et voir ses élèves progresser

  3. Travailler dans un collectif où l’entraide et le conseil sont la norme

  4. Disposer d’une liberté d’organisation qui laisse place à la créativité

  5. Bénéficier de possibilités d’évolution : conseiller pédagogique, chef d’établissement, inspecteur…


Ces arguments ont résonné en moi. Faire des maths pour transmettre un savoir, éveiller la curiosité et accompagner les élèves dans leur développement est bien différent de les faire pour battre un indice boursier. L’école est un lieu d’échanges où se tissent des liens avec les élèves et les collègues, une source de satisfaction personnelle et collective.

 

La réalité derrière l’idéal


Dire que le métier est idyllique serait mentir. Un professeur certifié au collège ou au lycée enseigne 18 heures, un agrégé 15 heures, mais il faut ajouter les corrections, les réunions et le travail d’équipe. C’est un rythme soutenu et il faut l’assumer.


Au‑delà de la charge de travail, l’enseignant fait face à une crise d’attractivité. En 2024, 3 200 enseignants manquaient à l’appel dans le public et le privé, et cette pénurie est devenue structurelle. Les candidatures ne suffisent plus à couvrir les postes et les départs volontaires sont en forte augmentation. Entre 2015 et 2022, le recours aux contractuels a augmenté de 43 %.


Les concours 2025 n’ont pas fait le plein : 2 063 postes n’ont pas été pourvus. Dans le premier degré, 1 284 postes sont restés vacants. Dans le second degré, environ 779 postes n’ont pas trouvé preneur malgré 6 289 postes proposés. La situation est encore plus dramatique en mathématiques : 24 % des postes de la discipline sont restés vacants en 2025 — soit 330 places, contre 209 en 2024.


Cette crise a des conséquences immédiates : multiplication des « job‑datings », classes sans professeurs, recours à des néo‑contractuels parfois formés en urgence. Elle révèle un déséquilibre entre l’exigence du métier et la reconnaissance accordée aux enseignants ; seulement 7 % d’entre eux estiment leur profession valorisée dans la société. Ce mal‑être alimente les départs et rend le recrutement encore plus difficile.

 

Le chemin de la reconversion


Malgré ce tableau, le besoin d’enseignants et le désir de transmettre m’ont poussé à franchir le pas. Préparer le CAPES de mathématiques après quinze ans d’absence dans le monde académique est un défi : se replonger dans l’algèbre, l’analyse et la géométrie, rédiger des démonstrations, apprendre à concevoir une progression annuelle… J’ai passé des mois à réapprendre, à douter. Pourquoi quitter un salaire confortable pour un métier sous‑payé et déprécié ? Parce qu’au fond, voir un élève comprendre un théorème vaut plus qu’une prime annuelle.

 

Transmettre autrement les mathématiques


Mon expérience dans les salles de marchés n’est pas inutile : elle me permet d’illustrer des notions abstraites. Quand j’explique les probabilités, j’utilise des exemples de gestion de risque ; pour parler de fonctions exponentielles, je montre comment les intérêts composés peuvent exploser. Les élèves apprécient ce lien entre théorie et vie réelle.


Aujourd’hui, chaque cours est une occasion de retranscrire la puissance des mathématiques, non pour gagner de l’argent, mais pour former des esprits critiques. À travers les statistiques, je leur apprends à lire des sondages ; à travers la finance, je les alerte sur les pièges des placements à haut risque. Mon but est de leur donner des outils pour comprendre le monde, pas pour reproduire le monde de la finance.

 

Ni conte de fées, ni sacrifice inutile


Il serait malhonnête de présenter cette reconversion comme un conte de fées. La rémunération est inférieure à celle que j’avais dans la finance ; les conditions matérielles sont parfois difficiles ; l’institution manque de moyens et de reconnaissance. La pénurie de professeurs n’est pas près de disparaître : même si le nombre de postes vacants a légèrement diminué en 2025, les besoins restent criants et beaucoup de postes restent non pourvus..


Pourtant, je n’ai jamais regretté ce choix. Chaque jour, je retrouve ce que je cherchais : du sens, des échanges, l’impression d’être utile. Je ne peux pas sauver l’Éducation nationale à moi seul, mais je peux apporter ma pierre. L’enseignement des mathématiques est un métier exigeant et parfois dévalorisé, mais il offre une richesse humaine que la finance ne m’a jamais apportée.


Notre système a besoin de compétences et de passion ; il a surtout besoin de personnes qui ne craignent pas le doute et qui veulent donner du sens à leur travail.

 
 
 

Comments


bottom of page